« Les désorientés », d’Amin Maalouf

Je vous parlais hier d’un livre que j’ai lu un jour et aussitôt oublié deux jours après, cette fois je vais vous parler d’un roman que j’ai lu juste avant de partir en vacances et dont je me souviens comme si je venais de le refermer.

Présentation de l’auteur : « Dans Les désorientés, je m’inspire très largement de ma propre jeunesse. Je l’ai passée avec des amis qui croyaient en un monde meilleur. Et même si aucun des personnages de ce livre ne correspond à une personne réelle, aucun n’est entièrement imaginaire. J’ai puisé dans mes rêves, dans mes fantasmes, dans mes remords, autant que dans mes souvenirs.
Les protagonistes du roman avaient été inséparables dans leur jeunesse, puis ils s’étaient dispersés, brouillés, perdus de vue. Ils se retrouvent à l’occasion de la mort de l’un deux. Les uns n’ont jamais voulu quitter leur pays natal, d’autres ont émigré vers les Etats-Unis, le Brésil ou la France. Et les voies qu’ils ont suivies les ont menés dans les directions les plus diverses. Qu’ont encore en commun l’hôtelière libertine, l’entrepreneur qui a fait fortune, ou le moine qui s’est retiré du monde pour se consacrer à la méditation ? Quelques réminiscences partagées, et une nostalgie incurable pour le monde d’avant. »

Résumé : Adam est un historien d’origine libanaise qui vit et enseigne à Paris. Un soir il reçoit un coup de fil d’une amie de jeunesse, qui lui annonce que son mari est en train de mourir, et qu’il aimerait voir Adam une dernière fois. Adam hésite, cela fait des années qu’ils ne se parlent plus. Mais il se décide à retourner au pays et renouer avec son passé.

Mon avis : un immense coup de coeur !

Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu cette hâte à terminer ma journée de travail pour retrouver un roman qui m’attendait à la maison. Cette lecture m’a enchantée, bousculée, émue. Un tel bonheur à entrer dans la vie d’Adam et ses compagnons que je ne sais par où commencer.

Le récit commence avec Adam, qui apprend la nouvelle. Son ancien ami est mourant, il l’appelle à son chevet, et malgré ses réticences, son devoir est de céder à ses dernières volontés. Mais il arrive trop tard, Mourad est déjà mort lorsqu’il se rend au Liban. Pourtant, alors qu’Adam ne comptait rester que le temps de dire au revoir à Mourad, il sent monter l’irrépressible envie de renouer avec son pays d’origine. Et lorsque Tania, veuve désormais, évoque l’idée de réunir tous les amis d’autrefois à la mémoire de son défunt mari, Adam entreprend de s’occuper de les contacter tous et d’organiser les retrouvailles.

C’est ainsi qu’il va constamment passer du présent au passé. En recontactant ses anciens amis, va se rappeler à lui le souvenir de la raison pour laquelle ils ont tous quitté le pays, à l’exception de Mourad : la guerre. Tous sont partis les uns après les autres, reconstruisant une nouvelle vie ailleurs. Albert est allé aux Etats-Unis, Naïb au Brésil, Ramez en Jordanie, et Ramzi s’est isolé dans un monastère. Petit à petit, Adam va échanger avec les autres, avec qui il n’avait jamais totalement rompu le contact. Leurs échanges vont tourner autour de la question de la réunion à la mémoire de Mourad, mais aussi autour de la question de leur exil. La guerre et ses conséquences, la question de l’identité, de la religion de ce qu’ils auraient pu faire pour leur pays, de leur choix de le quitter. Toutes ces questions sont magnifiquement traitées. Sans prendre parti d’un côté ou d’un autre, l’auteur a su faire s’exprimer chacun des personnages, de manière juste et sensible. Pas forcément objective, cela est même impossible, comment juger objectivement d’une situation dans laquelle on est plongé jusqu’au cou ? Mais j’ai pris un réel plaisir à me mettre à la place de chacun et à accéder à leurs pensées. A écouter leurs justifications, leurs regrets.

J’ai aussi été touchée par l’histoire de ce groupe d’amis. Ils se réunissaient chez Mourad, et échangeaient pendant des heures, philosophaient en buvant, refaisaient le monde. Ils étaient chacun très différents : situation modeste ou plus fortunée, chrétien, juif ou musulman. Mais la situation politique du pays les a séparés. Au fur et à mesure du récit on apprend ce qui s’est passé pour chacun, et surtout, on comprend d’où vient la déchirure entre Adam et Mourad.

Il y aussi Sémiramis, qui aurait pu être l’amour de jeunesse d’Adam s’il avait osé aller vers elle. Elle tient un hôtel où séjourne Adam le temps de son séjour, et ils rattraperont le temps perdu. Sémiramis est une femme forte qui fait preuve d’une grande sagesse. Adam n’est pas en reste, mais pour le coup, elle force mon admiration en agissant avec beaucoup de discernement. Tous les personnages sont très attachants, chacun à sa manière.

Adam a l’habitude d’écrire, pour ses ouvrages d’écrivain (il travaille sur la biographie d’Attila), mais aussi pour lui-même. Ainsi nous suivons le cheminement de ses pensées à travers le journal qu’il tient quotidiennement. Le roman s’appuie donc sur une narration omnisciente et sur les écrits d’Adam. C’est un procédé particulièrement efficace, qui m’a tenu en haleine. A cela s’ajoute le formidable talent d’Amin Maalouf, que je découvre avec ce livre, et auquel je compte bien regoûter. C’est fluide, ça se lit tout seul, sans effort, je me suis laissée emporter dans cette histoire et celle de ce pays, qui par ailleurs n’est jamais cité en tant que « Liban ». Le contexte le laisse deviner, ainsi que les origines de l’auteur lui-même.

Vous l’aurez compris, je vous recommande chaudement ce roman qui m’a apporté beaucoup d’émotions, mais aussi de réflexions.

Remerciements : merci aux Editions Grasset pour m’avoir donné l’opportunité de lire Les désorientés.

 Grasset, septembre 2012, ISBN 978-2-246-77271-2, 519 pages, 22€

17 réflexions au sujet de « « Les désorientés », d’Amin Maalouf »

  1. J’ai entendu l’auteur sur France culture il y a une dizaine de jours et je m’étais que son roman me plairait bien. Tu confirmes et tu me donnes bien envie de courir l’acheter^^

  2. Ton enthousiasme est communicatif ! Il est tellement difficile de trouver des livres que tu as du mal à lacher… je le note tout de suite !

  3. Salut,
    Est-ce que quelqu’un connais des travaux universitaires ou bien des livres critiques sur Les Désorientées ou du moins sur les autres romans de Amin Malouf?
    Merci d’avance * : )

A vous les micros !