« Les insurrections singulières », de Jeanne Benameur

J’ai souvent eu l’occasion de voir le nom de Jeanne Benameur revenir sur les forums de lecture, toujours en bien. Puis François Busnel a lui aussi vanté ses mérites pour Les insurrections singulières, et comme je bois ses paroles j’avais noté ce titre dans ma liste d’envies.

Résumé : Antoine est ouvrier, dans une usine en passe d’être délocalisée au Brésil. Il est en RTT obligatoire, mauvais signe, et sa petite amie vient de le quitter. Il retourne donc chez ses parents, la trentaine passée, et se sent à un moment charnière de sa vie. Il est temps de se poser les bonnes questions et de se prendre en main.

Mon avis : la narration se fait du point de vue d’Antoine, qui d’emblée attire la sympathie, et même l’empathie du lecteur. Toute sa vie, Antoine s’est senti à côté des choses. A la maison, son frère était l’élève studieux qui est devenu professeur des écoles. Lui a voulu suivre le chemin de son père et travailler à l’usine, alors que ses parents attendaient de leurs enfants qu’ils aient une meilleure vie. Karima, celle qu’il aimait tant, voulait de lui qu’il lui dise son amour, alors que lui se contentait de le lui donner.

De retour dans la maison familiale, il prend le temps d’observer les choses. Ses parents, tout d’abord. Sa mère vend ses créations tous les dimanches au marché. Il ne l’avait jamais connue comme ça, épanouie. Il aura fallu attendre la retraite pour qu’elle fasse quelque chose qui lui plait. Et son père, cet homme qui passait des heures le soir à confectionner ses maquettes et qui notait chaque fin de journée quelque chose dans son carnet noir, objet si mystérieux pour Antoine, semble apaisé. Ses parents sont heureux, amoureux comme au premier jour, et Antoine se sent de trop désormais. Il y a aussi son frère, qu’il évite, comme s’il appréhendait que celui-ci ne lui jette sa carrière à la figure à chaque rencontre.

Une rencontre va le décider : Marcel. Ce bouquiniste tient son stand à côté de celui de sa mère, et il va trouver en cet homme son point de chute. Marcel incarne la passion, le partage, le choix. Il a décidé d’être bouquiniste parce qu’il en avait envie. Antoine, lui, a son destin entre les mains d’actionnaires prêts à sacrifier sa vie pour de l’argent, sans souci de la valeur de l’humain. C’est là qu’il prend la décision d’aller à la rencontre de ceux qui lui ont pris involontairement son travail, au Brésil.

Les questionnements qui font jour dans la tête d’Antoine sont poignants. Il se pose beaucoup de questions légitimes, et celle qui m’a le plus marquée est celle-ci : quel est le but de cette vie, à se contenter de rentrer dans la case qu’on nous a assignée ? Pourquoi ne peut-on pas vivre tout simplement, au lieu de suivre le schéma aller à l’école pour faire de bonnes études pour avoir un bon boulot ? Le chemin initiatique qui s’ensuit remue les entrailles, car à l’instar d’Antoine, qui ne s’est jamais senti passer à côté de sa vie ? Dans une certaine mesure ce roman m’a autant parlé que le film L’homme qui voulait vivre sa vie. Antoine a tenté d’agir sur les choses avec ses moyens, en s’exprimant face à ses collègues syndiqués, prônant des opérations fortes plutôt que des parlementations stériles.  Mais même les syndiqués ont peur d’agir selon ce en quoi ils croient.

Et puis il y a l’écriture de Jeanne Benameur, une écriture délicate et poétique, réaliste, qui va au fond des choses mais avec une telle douceur que les regrets paraissent moins rudes qu’ils ne le sont réellement. Et si la première partie est plutôt amère, la deuxième, celle du choix, de la prise en main d’Antoine sur sa vie est plus optimiste, porteuse d’espoir.

Actes Sud, ISBN 978-2-7427-9530-7, 198 pages, 17 €

 

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A vous les micros !