« Nos armes » de Marion Brunet

Alors qu’elle vit seule dans un petit village écoresponsable, sans que personne ne connaisse son passé, Mano apprend qu’une femme la cherche. Elle n’a aucun doute, il ne peut s’agir que d’Axelle, son amour qu’elle n’a pas revu depuis vingt-cinq ans. Leurs chemins se sont séparés brutalement lorsque Axelle a été arrêtée après avoir tué un policier dans un braquage. Mano a pu s’enfuir à temps mais le poids de l’absente ne l’a jamais quittée. L’heure des retrouvailles est peut-être arrivée.

Comment leurs destins ont-ils pris ces trajectoires ? Cela a commencé par une revanche. Mano s’est fait virer de son boulot de serveuse, sans merci ni indemnités. Son cercle d’amis militants de gauche a aussitôt décidé de punir le patron en lui volant sa caisse. Montée d’adrénaline, sentiment de puissance, soif de transgression. Après cette première initiative réussie, ils veulent taper plus fort, viser plus haut pour financer la cause. Ils en paient le prix, chèrement.

Depuis sa cellule, Axelle voit les années se succéder. Passe pas tous les sentiments : la peur, la colère, l’espoir, la désillusion… Grâce à des témoignages, Marion Brunet a su décrire ce qu’est la vie des détenus de longue peine. Il faut s’imaginer ce que c’est de ne pas manger un fruit en vingt ans, ne plus voir de fleurs, ne percevoir qu’un horizon grillagé, toujours voir les mêmes personnes. Il y a bien les surveillants qui changent, chacun dans son rôle : ceux qui sont bienveillants et ceux qui prennent un plaisir sadique à rabaisser les détenus.

De l’autre côté du mur, très loin, Mano tente de vivre. Se forçant à aimer, elle traverse les années avec toujours l’ombre d’Axelle à ses côtés. Elle n’essaie pas de faire le deuil impossible de son amour. Tout juste parvient-elle à faire semblant d’être heureuse avec l’homme qui partage sa vie.

Nos armes est un roman qui offre plusieurs niveaux de lecture. Ce qui prend aux tripes, c’est cette histoire d’amour bouleversante, déchirante, entre deux femmes qui se sont aimées éperdument à vingt ans et qui malgré la séparation n’ont jamais cessé de penser l’une à l’autre. L’image de Mano peuple les murs de la cellule d’Axelle comme le souvenir d’Axelle réchauffe le cœur de Mano même à l’autre bout du monde. Une histoire tellement belle et intense qu’elle prend toute la place. Pourtant, on aurait tort de réduire Nos armes à cette histoire d’amour. C’est aussi une histoire de jeunesse pleine de rêves et d’espoir, animée d’une fougue flamboyante qui ira jusqu’à se brûler les ailes. Des illusions sévèrement perdues pour des idéaux d’égalité, avec les travers d’une vision politique manquant de nuance inhérente aux militants extrémistes. 

Avec un talent remarquable, Marion Brunet fait parler les colères des classes populaires, le sentiment d’abandon des vies brisées. Nous suivons Mano et Axelle au fil des ans le souffle court, les voyant évoluer avec leurs armes. Son écriture insuffle à ce récit beaucoup d’énergie tout autant que de poésie. C’est percutant, engagé, d’un romantisme enfiévré. Une écriture captivante, à l’image de nos deux héroïnes qu’on a un mal fou à lâcher.

Albin Michel, 2024, ISBN 978-2-226-47100-0, 384 pages, 20.90€

Chronique rédigée pour Les Chroniques de l’imaginaire