« Angelo, tyran de Padoue » de Victor Hugo

En novembre, le thème du rendez-vous Les Classiques c’est fantastique de Moka et Fanny est un prénom dans le titre. J’ai choisi pour commencer une pièce de théâtre de Victor Hugo : Angelo, tyran de Padoue.

Dans cette pièce de théâtre écrite en prose en 1835, les amours se croisent et ne se rencontrent pas. Ou peu. Angelo est le podesta de Padoue, l’équivalent d’un gouverneur. Il s’est marié à Catarina pour sa famille, qui est riche. Mais il n’aime pas cette femme de la haute société. Lui, il aime la Tisbe, une comédienne populaire. Qui ne l’aime pas, puisqu’elle aime Rodolfo. Rodolfo, quant à lui, aime Catarina. Qui l’aime en retour ! Elle n’aime certainement pas Homodei, qu’elle a éconduit. Mais Homodei voit tout, sait tout, et il compte bien se venger d’avoir été humilié…

De prime abord, on peut craindre de se sentir perdu face à toutes ces amours contrariées. Pourtant il n’en est rien. La pièce est si bien écrite et construite que nous sommes tenus en haleine sans difficulté. Les actions se suivent et s’enchaînent avec de nombreux rebondissements. Les scènes savoureuses se déploient sous nos yeux. Et ce qui donne toute sa force à cette pièce, c’est le charisme des femmes. La Tisbe et Catarina sont extraordinaires de par leur caractère, de par leur fougue, de par leur intégrité. Elles n’ont pas peur d’assumer leurs sentiments et de prendre les décisions qui s’imposent. Les hommes ici n’ont pas le beau rôle, même si Rodolfo tire son épingle du jeu. Ils apparaissent lâches et cruels, s’arrogeant le droit de vie ou de mort sur les femmes qui ne leur sont pas soumises.

La préface d’Olivier Bara, Professeur de Littérature française du XIXe siècle et d’Arts de la scène, souligne bien la dimension féministe de cette pièce, que Victor Hugo revendique lui-même dans sa propre préface. L’enjeu est de représenter la femme à travers deux figures opposées, les défendre contre le despotisme et le mépris, qu’elle soit dans la société (Catarina) ou hors de la société (la Tisbe). Rendre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde. La représentation des deux types de femme était d’autant plus frappant à l’époque que ce sont deux vedettes comédiennes de familles opposées (la Comédie-Française et les théâtres de boulevards) qui campent les personnages de Catarina et de la Tisbe.
L’édition présentée ici propose aussi les habituelles notes permettant d’apporter des précisions au fil du texte. A cela s’ajoutent les notes de l’auteur sur Angelo, tyran de Padoue, l’accueil de la critique ou encore un rappel des différentes éditions de la pièce.

Il est toujours intéressant de lire la documentation accompagnant l’œuvre mais le texte est ici si parlant, si accessible, si puissant que vous ne serez pas lésé si vous choisissez de ne lire que la pièce. L’intensité dramatique est parfaite et l’émotion au rendez-vous. Les dialogues des deux femmes, de la Tisbe surtout, sont frappants de justesse et de modernité. Étonnant finalement que cette pièce de théâtre soit méconnue ! Elle mérite amplement d’être remise sur le devant de la scène.

Folio classique, 2022, ISBN 978-2-07-288931-8, 272 pages, 7.80

Les choix de : Moka, Fanny…

Chronique rédigée pour Les Chroniques de l’Imaginaire

12 réflexions au sujet de « « Angelo, tyran de Padoue » de Victor Hugo »

  1. Je n’avais jamais entendu parler de cette pièce. Ta chronique permet un beau lien et une parfaite transition avec les lectures du mois précédent. Hugo, non content d’écraser Proust, poursuit son chemin sur les blogs! Merci pour ta participation Natiora ! Et peut-être à bientôt pour un prochain titre-prénom !

    1. En effet, cela commence à se voir que j’aime beaucoup Hugo… ^^ Mon deuxième titre est terminé, ne reste plus qu’à en parler (je divulgâche : l’enthousiasme sera moindre).

    1. Je ne le connaissais pas non plus avant il y a quelques semaines ! Les bibliographies des écrivains sont si vastes et regorgent de trésors insoupçonnés.

  2. Je ne connaissais pas cette pièce même si elle doit figurer dans mon recueil de pièces d’Hugo. Dès que j’aurai remis la main dessus, j’y jetterai un oeil (et même deux tant qu’à faire) car elle a l’air vraiment passionnante et réussie. Merci pour cet éclairage !

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