« Paradis » d’Abdulrazak Gurnah

Abdulrazak Gurnah a reçu le Prix Nobel de littérature en 2021.

A douze ans, à Zanzibar, Yusuf voit sa famille vivre dans la pauvreté et la frugalité. Cela fait quatre ans qu’ils vivent à Kawa, là où son père, voyant la ville prospérer subitement grâce aux Allemands nouvellement installés pour aménager le chemin de fer, s’est empressé d’ouvrir un hôtel-restaurant. Mais ce surcroît d’activité n’a pas duré longtemps et peu de voyageurs s’arrêtent à la gare, qui est devenue un arrêt de ravitaillement pour les trains.

Parmi les voyageurs qui viennent rendre visite à son père, il y a oncle Aziz. Un marchand itinérant prospère, qui ne manque pas de donner une pièce chaque fois qu’il voit Yusuf. Mais cette fois, le jeune garçon ne voit rien venir. Pour cause, oncle Aziz ne fait pas que s’arrêter avec sa caravane : il emmène Yusuf avec lui. Un évènement aussi inattendu que soudain qui éloigne Yusuf de son foyer. Il est emmené chez oncle Aziz où il devient ami avec Khalil, le jeune homme qui tient la boutique du marchand.

A ses côtés, Yusuf grandit. Il apprend beaucoup de choses sur la vie, la survie, le sens de l’observation, de la discrétion, de l’hypocrisie pour ne pas se mettre en danger… Khalil apprend aussi à Yusuf une nouvelle accablante : oncle Aziz n’est pas son oncle. C’est un marchand, oui, qui prête aussi de l’argent aux personnes dans le besoin. Et quand ses débiteurs ne parviennent pas à honorer leurs dettes, il prend les enfants en compensation.

Le socle de l’histoire est triste et désespérant. Yusuf est vendu par ses parents, à contrecœur mais vendu quand même. Il n’a pas le droit d’entrer dans la maison, dort dehors à même le sol, doit travailler sans autre gain que les repas. Pourtant, malgré la morosité qui pourrait s’appesantir sur l’ensemble du roman, il y a une dimension d’aventure et d’amitié très forte. Yusuf ne se laisse pas gagner par la tristesse et affronte avec volonté chaque jour qui se présente, tout en s’interrogeant sur le mystère de l’épouse d’Aziz, enfermée dans sa demeure à cause parait-il d’une tache qu’elle ne veut montrer à personne…

L’intrigue devient encore plus intéressante lorsque Aziz décide d’emmener Yusuf en voyage avec lui lors de ses pérégrinations, afin de vendre sa marchandise et de nouer de nouvelles relations commerciales. Ils entrent dans des terres isolées, parfois hostiles, où le danger peut survenir à tout instant. On entre là dans l’histoire de l’Afrique, avec ses ethnies ennemies et la présence en arrière-plan d’un colonisateur puissant et cruel. Nous accompagnons la caravane dans des décors exotiques, aux côtés de peuples non encore dénaturés par la modernité, alors qu’Aziz et Yusuf se situent dans un entre-deux. Tous les deux ont une relation plus proche qu’on ne pourrait le penser. Aziz aime bien Yusuf, qu’il voit aussi comme un atout en vertu de sa grande beauté. Mais ce n’est pas tout, on sent bien qu’il a une affection sincère pour le garçon. Cela atténue grandement la froideur des chaînes qui lient Yusuf à son maître.

Dans son Paradis qui parfois se rapproche de l’enfer, Abdulzazak Gurnah nous emmène sur la terre de son enfance qui est aujourd’hui devenue la Tanzanie. Il nous fait connaître la culture et les mœurs autochtones du début du XXème siècle aux côtés d’un personnage attachant qui restera le point fort de ce roman envoûtant.

Chez Jostein

5 réflexions au sujet de « « Paradis » d’Abdulrazak Gurnah »

  1. Je te rejoins : cet auteur a une plume envoûtante ! L’histoire a l’air très riche ici en plus, avec des relations plus complexes qu’elles n’y paraissent.

  2. C’est drôle, il y a vraiment des Nobel dont je n’ai jamais entendu le nom (ou alors oublié…) Le contexte m’intéresse beaucoup pour ce roman.

A vous les micros !