« Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada

C’est en assistant à la première rencontre VLEEL consacrée à la rentrée littéraire de janvier que j’ai découvert ce titre des éditions Métailié. J’ai eu la chance de le recevoir lors d’une opération Masse Critique Babelio.

Dans les eaux d’un fleuve argentin, trois hommes luttent contre une raie dont ils espèrent venir à bout. Il fait chaud, l’effort les malmène. Deux sont déjà quinquagénaires. Quant au jeune, il s’agit du fils de leur meilleur ami, mort il y a plusieurs années dans ce même fleuve. L’atmosphère est lourde et embrumée par la chaleur et les effluves d’alcool.

Des villageois viennent voir ce qu’ils font, intrigués par le combat interminable entre les hommes et la bête. Parmi eux, un homme qui se souvient et qui respecte trop la nature pour admettre qu’on joue avec.

Au bord du fleuve, les souvenirs ressurgissent peu à peu. C’est ainsi que nous faisons plus amplement connaissance avec Enero, Negro et Tilo. Et avec Eusebio, le disparu dont la présence plane avec force tout au long du récit.

Il s’agit d’un court roman et j’ai tant aimé découvrir les paragraphes l’un après l’autre que je ne déflorerai pas l’histoire. 111 pages, c’est court. Moi qui aime les récits denses qui m’emportent dans leur décor, je craignais de ne pas avoir suffisamment de matière pour m’ancrer dans l’atmosphère du roman.
Selva Almada m’aura vite détrompée. Dès les premières pages, j’avais les pieds dans l’eau au côté des trois hommes et je sentais la sueur perler sur ma peau, les moustiques voltiger autour de moi. J’ai senti l’humidité de la forêt, vu la panoplie des couleurs et entendu le bruissement des feuilles. Les sensations se mélangent. Une synesthésie à grande échelle qui m’a transportée dans le récit.

Le vent se faufile entre les arbres et tout est si silencieux à cette heure que le murmure des feuilles grandit comme la respiration d’un animal immense. Il écoute sa respiration. Un souffle. Les branches remuent comme des côtes, se gonflent et se dégonflent avec l’air qui s’introduit dans les entrailles.

J’ai aimé découvrir les habitants de ce village argentin, où la tradition et la superstition se superposent pour créer une atmosphère de folklore teintée de surnaturel. Et ce fleuve, qui n’est « pas un fleuve, c’est ce fleuve-là. » Un personnage à part entière.
Les personnages ont tous du relief et une aura marquante, que ce soient les trois pêcheurs, les sœurs insouciantes ou leur mère obnubilée par le feu. On les accompagne avec émotion dans les fêtes, dans les joies et les peines. Et les tragédies.

Le récit, si court qu’il soit, est incroyablement immersif et on sort la tête et le cœur rempli de couleurs et de sensations. C’est une lecture sensuelle et sensorielle enivrante qui me donne terriblement envie de découvrir les autres œuvres de Selva Almada, qui propose ici une littérature qui correspond totalement à ce qui me fait vibrer.

Ce n’est pas un fleuve est une pépite, lisez-le !

Métailié, 2022, ISBN 979-10-226-1171-8, 111 pages, 16€

7 réflexions au sujet de « « Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada »

  1. J’avais déjà lu un avis très convaincant sur ce roman qui semble envoûtant.. et si tu le permets, je récupère ton lien car cet article rentre dans le cadre du Mois Latino, qui se déroule sur tout février !

  2. Et bien dis donc….. Le début de ta chronique m’a fait penser Au vieil homme et la mer mais je vois que l’environnement tient une place prépondérante alors que pour Hemingway il s’agit plus d’un combat humain. 🙂

    1. L’environnement est très présent et cela permet de mieux ancrer les personnages dans l’histoire. La capacité de l’autrice à planter le décor de façon si sensorielle m’a impressionnée mais les destins de chacun sont aussi merveilleusement racontés.

  3. Comme Mumu, cela m’a fait penser au régit de Hemingway. Malgré ton coup de cœur, je ne suis pas sûre de me laisser tenter.
    Mais je devrais me pencher plus sérieusement sur le catalogue de cette maison.

    1. Pourtant Fanny, je suis certaine que tu trouverais ce roman majestueux. Mais tout vient à point, ou pas. Et si l’occasion de le lire se présente, je t’incite à franchir le pas.

A vous les micros !