« Perdre la tête » de Heather O’Neill

A Montréal, fin dix-neuvième, deux petites filles font connaissance. L’une, Marie, est la fille unique d’un papa fortuné à la tête d’une raffinerie florissante. Marie est blonde, jolie et tout le monde l’aime. Et elle aime tout le monde, surtout elle-même. Un peu plus loin, il y a Sadie. Sadie est brune, d’une beauté diabolique. Elle n’aime personne, ni ses parents arrivistes, ni son frère, et rien ne lui plaît plus que lire et écrire quand elle ne s’adonne pas à des activités mesquines. Lorsque les deux petites filles se rencontrent, elles sont intriguées par le fait qu’elles ne ressemblent à personne d’autre. Leur amitié devient fusionnelle. Et c’est ensemble qu’elles commettent l’irréparable : elles tuent accidentellement une femme.

Exilée en Angleterre, Sadie ronge son frein en attendant un jour de publier ses écrits, qu’elle livre en avant-première à ses camarades du pensionnat. Son imagination est débordante en matière d’histoires érotiques. Et lorsque le moment venu, elle reviendra à Montréal, elle compte bien se venger de l’abandon des siens et se faire connaître en tant qu’écrivaine. Pendant ce temps, Marie prendra la tête des affaires familiales.

Ce roman dense et foisonnant m’a passionnée. Ces deux filles ont un caractère bien trempé et n’entendent pas laisser les hommes dicter leur conduite. On les rencontre ensemble puis on suit leurs chemins qui se séparent, se croisent, s’évitent ou s’entremêlent. Leur relation dépasse les cadres établis. Amies, amantes, âmes sœurs, ennemies… qui peut réellement le dire ? Leur lien les garde unies à travers les ans, malgré la distance et les épreuves.

Mais Perdre la tête est plus que l’histoire de Marie et Sadie. C’est une succession d’épisodes qui parlent de la condition des femmes, quel que soit leur milieu, leur âge, leur apparence. Heather O’Neill traite ce vaste sujet avec beaucoup d’intelligence et de pertinence, sans jamais tomber dans un féminisme agressif primaire. Grâce à ses personnages, l’autrice donne corps aux vrais maux perpétrés à cette époque par la domination masculine. Marie et Sadie en tête, mais vous rencontrerez aussi au fil des pages George, Mary et d’autres anonymes prêtes à faire entendre leur voix,.

C’est un roman ambitieux, brillant, avec une intrigue romanesque riche et trépidante. J’ai adoré.

Les noms des femmes qui avaient participé à la révolution et s’étaient battues pour elle furent effacés. Ils avaient été écrits à l’encre invisible. Et puis l’histoire des hommes avait été écrite par-dessus à l’encre indélébile. Pour voir l’histoire des femmes, il fallait brandir la feuille devant une fenêtre et laisser la lumière la traverser. Alors l’histoire pouvait danser comme une marionnette à ombres chinoises sur le mur.

Les Escales, 2024, ISBN 978-2-36569-816-0, 453 pages, 23€

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A vous les micros !