« La Tour d’Amour » de Rachilde

Voici l’heure du rendez-vous de Moka et Fanny pour découvrir un nouveau titre classique !

La Tour d’Amour est un roman classique de la littérature dite fin-de-siècle (1899), écrit par Marguerite Eymery, plus connue sous son pseudonyme Rachilde. Contrairement à ce que le titre peut faire penser, il ne s’agit pas d’un roman d’amour mais d’un huis-clos angoissant prenant place dans le phare Ar-men, livré aux assauts des marées.

Jean Maleux est le nouvel apprenti de Mathurin Barnabas, le gardien du phare expérimenté qui vit sur place depuis de nombreuses années. Jean vient remplacer son prédécesseur, qui s’est suicidé du haut de la tour.

Plein d’enthousiasme, Jean s’engage dans cette nouvelle mission. Il en avait marre de trimer dans la soute à charbon, il avait besoin de « mer ferme » et a demandé à changer de poste. Mais dès le départ, il comprend ce qui l’attend. Cela commence par la difficulté à sortir du bateau pour aller sur le phare, une épreuve en soi. Puis il rencontre Mathurin, cet homme taiseux, taciturne, rustre, étrange, avec qui Jean se rend vite compte qu’il ne pourra pas se lier, ni même tenir une conversation. L’homme a de plus cette mystérieuse habitude de revêtir une casquette avec des faux cheveux à la nuit tombée et de chanter avec une voix de femme.

Peu à peu, l’optimisme de Jean et sa volonté sont mis à mal par l’animalité de son collègue, par les vagues qui s’abattent sans cesse sur le phare, par le vent qui met à mal les installations au point d’éteindre les feux et de causer des naufrages. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des cadavres défiler dans la mer. Le récit s’assombrit au fil des pages. Un regain d’énergie vient tout de même ranimer Jean lors de ses sorties sur terre, quand il se met à espérer rencontrer une femme à épouser. Mais l’atmosphère lugubre du phare pèse sur ses épaules et l’engloutit de plus en plus.

Cette Tour d’Amour est un tour de force. L’écriture impeccablement maîtrisée de Rachilde nous entraîne dans son sillage mortifère, voire gothique. L’atmosphère est oppressante, macabre et sinistre. Mathurin, à force de solitude et sans doute de folie, en est réduit à être un animal. La mer est rageuse et meurtrière. Les espoirs d’amour placés trop haut rendent la chute douloureuse, ingérable.

Le roman est addictif tant les thèmes sont forts et impressionnants. Ils le sont encore plus à la lecture de la postface d’Edith Silve, qui éclaire brillamment les éléments qui ont pu échapper au lecteur, aussi attentif soit-il. Soulignons également les excellents préfaces de Camille Islert et Julien Mignot. Merci à Gallimard pour cette nouvelle édition qui permet d’entourer intelligemment le texte d’origine, puissant et magistral. Une lecture très marquante.

Gallimard, Collection L’imaginaire, 2023, ISBN 978-2-07-074748-8, 186 pages, 8.90€

2 réflexions au sujet de « « La Tour d’Amour » de Rachilde »

A vous les micros !