« J’ai écrit ce scénario à l’âge de quarante-cinq ans, lorsque j’ai présenté ma candidature aux cours d’écriture de scénarios de Valéry Frid. Il ne m’a pas acceptée, il m’a dit que je savais déjà tout et qu’il n’avait rien à m’apprendre. Trente-deux ans se sont écoulés depuis, et ce texte a acquis une actualité nouvelle. »
Dans un laboratoire isolé, un scientifique mène des recherches. Il travaille dans un local confiné, vêtu d’une combinaison de protection intégrale. Lorsque la gardienne l’interrompt pour lui dire qu’il est attendu au téléphone, son masque glisse. La commission le demande. Il doit rentrer à Moscou rendre compte de ses progrès. D’abord le train, puis l’hôtel, où il s’allonge, au plus mal. Le médecin est appelé : il faut l’hospitaliser sans plus attendre.
Là, le médecin de garde aux urgences, discret et effacé, prend soudain la mesure de son rôle et se révèle à la hauteur de la situation en réalisant qu’il s’agit de la peste pulmonaire, hautement contagieuse et mortelle. L’hôpital doit être immédiatement placé en quarantaine.
Nous sommes en 1939 et ceci est une histoire vraie. Une épidémie de peste a été stoppée net par l’efficacité redoutable du régime stalinien, qui grâce à son service de surveillance resserré a su en quelques jours, voire heures, remonter toute la chaîne de contagion pour isoler les personnes à risque.
Ludmila Oulitskaïa a écrit ce roman en se basant sur ce fait réel, en imaginant les protagonistes et en adoptant la structure du scénario. Les paragraphes se suivent en faisant un plan sur une scène différente à chaque fois : tantôt le laboratoire, tantôt la cabine du train, puis la réception de l’hôtel, la chambre d’hôpital du scientifique malade, etc… Elle pose d’abord le lieu, le décor et les objets puis décrit les personnages, leurs dialogues et agissements.
Si ces hommes et femmes mènent des vies différentes, ils ont tous quelque chose en commun : la peur. Lorsque les agents de l’État totalitaire russe viennent vous chercher en plein milieu de la nuit, même si vous n’avez rien à vous reprocher, l’issue a peu de chance d’être heureuse. Aucun n’imagine que c’est pour contenir une épidémie. Pour certains, la méprise sera désastreuse. Et c’est là que le titre de l’ouvrage, Ce n’était que la peste, prend tout son sens.
La force de ce court roman est indéniable, non seulement de par la construction impeccable et la tension qui monte au fil du récit. Mais aussi évidemment de par sa résonance avec l’actualité. Lorsque Ludmila Oulitskaïa a retrouvé ce scénario au printemps 2020, le parallèle avec la COVID-19 était évident. Mais aujourd’hui, c’est aussi la façon d’exercer le pouvoir en Russie qui y trouve un écho éloquent. La menace, l’angoisse et la propagande s’infiltrent dans les foyers.
A tous points de vue, il ne faut pas passer à coté de ce roman, très intelligent et redoutablement efficace.
Folio, 2022, ISBN 978-2-07-300206-8, 144 pages, 7.50€
Chronique rédigée pour Les Chroniques de l’Imaginaire
Le fait que ce soit inspiré d’une histoire vraie m’intéresse tout comme ce que le roman met en avant et qui résonne avec l’actualité.
J’espère que tu auras l’occasion de le lire. Le parallèle est déstabilisant !