Je découvre les ouvrages de Mohamed Mbgougar Sarr à rebours puisqu’après La plus secrète mémoire des hommes et De purs hommes, ce billet est consacré à son tout premier roman, couronné en 2015 par le Prix Ahmadou Kourouma et le Grand Prix du roman Métis.
Un premier roman qui montre déjà que l’auteur n’a pas froid aux yeux et fait de la littérature un espace de liberté sans bornes, dans lequel il peut s’exprimer pleinement. Son roman lauréat du Prix Goncourt 2021 égratignait le monde de l’édition et De purs hommes pointait du doigt l’homophobie au Sénégal. Dans Terre ceinte, Mohamed Mbougar Sarr s’en prend à l’islamisme.
L’histoire se passe à Kalep, ville du Sumal, un lieu fictif dont la ressemblance avec des lieux réels n’est évidemment pas fortuite. Deux jeunes gens sont condamnés à une mort public pour avoir oser s’aimer hors mariage. La foule, galvanisée, assiste aux meurtres. Tandis que les mères éplorées démarrent une correspondance faite de désespoir et de résignation révoltée.
Dans un foyer de Kalep, nous allons suivre une famille, qui comme toutes les autres, subit le pouvoir islamiste. Ndey Joor Camara se fait molester en pleine rue pour avoir ouvert sa porte sans voile. Son mari médecin, avec une poignée de complices, œuvre clandestinement à produire un journal contre les autorités en place. Idrissa, le jeune fils, semble égaré et sonné, comme si ce n’était qu’un long cauchemar et qu’il attend de se réveiller. Le souvenir du frère absent n’aide pas à oublier la peur et l’emprise des chefs islamistes sur les vies et esprits.
Une fois de plus, je suis impressionnée par le talent de Mohamed Mbougar Sarr, qui démontre avec ce premier roman qu’il a tout compris à la littérature et à l’écriture.
La construction du récit est là encore impeccable et c’est véritablement une constante chez lui, il sait à merveille imaginer une bonne histoire et la raconter en distillant les infos clés au bon moment. On est non seulement tenus en haleine mais surpris par des évènements et interactions inattendues.
A 25 ans, l’auteur fait déjà preuve de ses qualités d’écrivain. La langue est belle et érudite. C’est du velours.
Si dans la forme le roman coche toutes les cases, le fond n’est pas en reste. Mohamed Mbougar Sarr a su capter tout ce qui définit l’autoritarisme religieux, ses méthodes et ses ambitions, personnalisé par le capitaine Abdel Karim, chef de la milice, respecté plus par crainte que par adhésion. Il s’est montré capable de filtrer toutes les dimensions du sujet pour aboutir à une analyse fine, pertinente et éclairante. Et accablante pour l’islamisme. La partie consacrée au rôle des bibliothèques m’a particulièrement passionnée.
Encore une fois, je suis conquise par cet écrivain qui livre un admirable premier roman courageux, preuve en est que la littérature est définitivement son pays et qu’il le parcourt comme il le veut, que ça plaise ou non. En tout cas, moi, je persiste et signe, et il est évident que je vais lire son deuxième roman Le silence du choeur, dont le sujet est les migrants…
On nous ordonne d’être et de rester fort devant tout. Mais pourquoi la faiblesse est-elle interdite ? Pourquoi croire que l’être humain peut se relever de tout ? Il faut accepter la défaite. L’accepter sans se prendre pour un héros, sans l’expliquer. Seulement perdre. Perdre. Savoir lâcher prise, tomber, s’écrouler, se briser complètement. Notre époque a honte de souffrir. Ses souffrances sont rapides, superficielles, sans profondeur, et c’est ça, sa vraie souffrance. On veut être des héros sans en avoir les moyens. On veut être des gens tragiques sans avoir la grandeur d’une tragédie.
Présence africaine, 2017, ISBN 978-2-7087-0911-9, 354 pages, 8.40€