« Rue de la Sardine » et « Tendre jeudi » de John Steinbeck

Si je choisis de vous présenter ces deux titres en même temps, c’est tout simplement car Tendre jeudi est la suite de Rue de la Sardine. On retrouve le même décor, les mêmes personnages (à peu près) dans de nouvelles aventures.

La Rue de la Sardine, à Monterey en Californie, c’est un poème ; c’est du vacarme, de la puanteur, de la routine, c’est une certaine irisation de la lumière, une vibration particulière, c’est de la nostalgie, c’est du rêve. La Rue de la Sardine, c’est le chaos. Chaos de fer, d’étain, de rouille, de bouts de bois, de morceaux de pavés, de ronces, d’herbes folles, de boîtes au rebut, de restaurants, de mauvais lieux, d’épiceries bondées et de laboratoires. Ses habitants, a dit quelqu’un : « ce sont des filles, des souteneurs, des joueurs de cartes et des enfants de putains » ; ce quelqu’un eût-il regardé par l’autre bout de la lorgnette, il eût pu dire : « ce sont des saints, des anges et des martyrs », et ce serait revenu au même.

La Rue de la Sardine, ce sont des habitants qui se côtoient, s’apprécient beaucoup, ou peu. Qui rient ensemble, qui se jaugent, qui s’invectivent, dans un esprit de camaraderie. Ce sont des personnalités écorchées auxquelles on s’attache sans y penser.

Doc est le plus posé, pragmatique. Il tient son Laboratoire Biologique de l’Ouest et son métier, c’est d’aller sur la plage récupérer crabes, pieuvres et autres animaux pour les envoyer sur commande aux établissements scientifiques pour leurs expérimentations. Il est généreux et bienveillant. Si sympa que les copains du Palace (un ancien hangar à poissons reconverti en dortoir par Mack et les autres) veulent préparer une fête en son honneur. Mais il s’agit d’un roman de Steinbeck, qui n’a pas son pareil pour vérifier l’adage selon lequel l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Dans ce roman, vous rencontrerez Dora, la maquerelle, Eddie, Lee Chong, l’épicier malin comme un singe, Hazel, et vous retrouverez la plupart d’entre eux dans Tendre jeudi, avec l’apparition de Suzy qui changera le ton de l’histoire. De peinture d’une classe sociale populaire et marginalisée, on glissera vers la comédie avec une histoire d’amour tantôt drôle, tantôt triste, toujours touchante. Le ton humoristique est d’ailleurs donné dès le prologue :

Un soir, allongé sur son lit, au Palais de la Ceinture, Mack dit :
– Moi, ce bouquin, Rue de la Sardine, il ne m’a jamais bien plu. Je m’y serais pris autrement.
Cela dit, il fit une longue pause puis se tourna sur le côté, leva la tête et se cala l’oreille contre la paume de la main.
– Je ne suis qu’un critique, mais, si je venais à rencontrer le gars qui a pondu ce bouquin, je lui dirais quelques petites choses.
[…]

J’ai beaucoup aimé lire Rue de la Sardine, mais j’ai encore préféré Tendre jeudi. On connaît déjà les personnages et on a appris à les aimer, surtout Doc, le socle du quartier, sur lequel reposent tous ses voisins.

Doc était plus que le premier citoyen de la rue, c’était lui qui pansait les âmes et les corps meurtris.

Mais aujourd’hui il déprime et personne ne sait comment l’aider. A moins qu’on ne parvienne à lui arranger le coup avec Suzy ? Suzy, nouvelle arrivée dans la ville, qui ne s’en laisse pas conter et a du caractère. Mais aussi un cœur prêt à se donner à qui le méritera. Et c’est pas gagné ! L’histoire entre Doc et Suzy et surtout tout ce monde qui s’en mêle et empire les choses m’a beaucoup fait sourire. Cela donne à l’histoire une légèreté très plaisante.

L’écriture de Steinbeck est toujours aussi impressionnante. Juste, spirituelle, incisive et caustique.

-J’ai jamais fait de mal à personne, Doc.
-Pas trop de mal. Disons que ta morsure n’est pas mortelle.

Un conseil, ne lisez pas seulement Tendre jeudi, vous perdrez beaucoup en n’ayant pas la genèse. Et si vous vous laissez tenter par Rue de la Sardine, prévoyez la suite quelque part dans votre PAL. On a du mal à la quitter, cette rue de la Sardine 😉

Folio, 2022, ISBN 978-2-07-036787-0, 213 pages, 7.50€
Le Livre de Poche, ISBN 978-2-253-00131-7, 2018, 254 pages, 7.30€

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8 réflexions au sujet de « « Rue de la Sardine » et « Tendre jeudi » de John Steinbeck »

  1. Ces deux titres sont vraiment très plaisants à lire… Quelle sacrée troupe nous croisons là ! [SPOILER ALERT] Tu devineras aisément qu’ils font partie de ma sélection de la semaine. Et comme toi, j’ai préféré Tendre jeudi bien que certains passages de Rue de la Sardine soient absolument superbes.

  2. J’ai Rue de la Sardine dans mon recueil de Steinbeck, ça tombe bien, tu me donnes envie de les découvrir (ce qui n’est pas compliqué vu que j’ai bien l’intention de poursuivre ma découverte de l’oeuvre de Steinbeck).

A vous les micros !

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