« Une saison amère » de John Steinbeck

L’année démarre en fanfare pour le challenge Les classiques c’est fantastique de Moka et Fanny ! Nous ouvrons le bal en ce mois de janvier avec le grand John Steinbeck. Après avoir lu et adoré Des souris et des hommes, A l’Est d’Eden, La Perle et Les raisins de la colère, je me faisais une joie de retrouver cet auteur ❤

Ethan Allen Hawley travaille dans une épicerie qui appartenait autrefois à sa famille. Sa famille qui possédait à peu près tout et à qui maintenant il ne reste à peu près rien. Il est de tempérament simple et égal, prenant la vie du bon côté. Certes, il n’y a plus que sa maison qui lui appartienne. Mais il y vit avec sa femme adorée et leurs deux enfants. Chaque matin annonce un jour nouveau, sans surprise et c’est tant mieux, il y a quelque chose de rassurant dans cette routine. Son patron est un peu escroc sur les bords mais il laisse Ethan gérer le magasin tranquillement, en confiance.
Bref, tout va bien.

Jusqu’à ce grain de sable.

-Est-ce que tu me reproches mon échec ?
-Non. Bien sûr que non. Mais je te reproche de t’y complaire. Tu pourrais t’en sortir si tu n’avais pas toutes ces idées aristocratiques bien démodées. Tout le monde se moque de toi. Sans argent, le plus grand gentleman n’est qu’un pauvre type.
L’injure explosa dans la tête de Mary, qui se tut, honteuse.

L’argent.
Mary (une épouse incroyablement aimante au demeurant) reproche à Ethan sa passivité. Il est commis et s’en contente, lui qui est issu d’une famille qui était riche auparavant. Où est son orgueil ? Son amour propre ? Où est son envie de mieux faire vivre sa famille ? Et s’il n’y avait que Mary ! Mais son fils s’y met, sa fille s’y met « Quand est-ce que tu seras riche ? », son ami le banquier s’y met… Tout le monde s’y met.

Alors Ethan, forcément, ça le travaille. Lui se contenterait bien de sa petite vie mais il comprend qu’il est de son devoir de changer les choses. Et à l’insu de tous, c’est ce qu’il va faire…

Dernier roman de l’auteur, Une saison amère est encore une fois une petite merveille. C’est brillant de bout en bout. Le personnage d’Ethan, je le vois encore tant il est palpable. Je le visualise très bien devant son épicerie, à balayer le plancher en bois, puis à disposer les caisses devant la vitrine, à compter les conserves… Je le visualise élaborer son stratagème pour contenter tout ce petit monde qui veut le pousser à être patron à être à la place du patron. Ethan, un nouveau personnage fort du trombinoscope steinbeckien.

Là où l’auteur excelle encore, c’est dans l’exercice de l’analyse de la société. Les banques, les pertes et profits, la grandeur et la décadence des villes, aussi petites soient-elles. Lire Steinbeck est une merveilleuse clef d’entrée pour comprendre les États-Unis, et d’une manière plus général, l’humain. Tout cela avec cette petite touche d’humour désabusé, cynique, si caractéristique, qui me ravit. C’est plein d’esprit. Il y a aussi un suspense très tendu, car on comprend rapidement qu’Ethan prépare quelque chose, mais quoi ? Comment ? Et c’est ainsi que totalement happés par l’intrigue et le style, on se retrouve à la dernière page avec l’envie de ne pas en finir. Non pas qu’il y ait un goût d’inachevé, mais c’est tellement bien qu’on en reprendrait bien une dernière cuillerée.

Bref, ce n’est pas une surprise, j’ai adoré.

L’argent non seulement n’a pas de cœur mais pas d’honneur ni de mémoire.

Le Livre de Poche, 2021, ISBN 978-2-253-14550-9, 351 pages, 7.70€