En lecture commune avec Jostein
Caryl Férey, l’auteur de thrillers baroudeur, nous emmène cette fois à Norilsk, au nord du cercle polaire sibérien. Ce roman (Lëd signifie neige en russe)est né de son envie de rendre hommage aux habitants qu’il a rencontrés lors d’un voyage abracabrant dans ce qu’on appelle la pire ville du monde. Je vous incite d’ailleurs fortement à lire son récit de voyage dont j’avais parlé ici. A Norilsk, on gèle, on respire un air ultra pollué, c’est gris et moche avec ces bâtiments qui respirent l’architecture soviétique. Tout est cher car il faut importer. Il n’y a pas de perspective d’avenir. On fait vieux à quarante ans.
Il faut y être né pour y vivre.
Ou être Boris Ivanov. Un flic déchu qu’on a puni en le mutant à Norilsk, dans un service où il ne se passe rien. Un placard à l’échelle d’une ville. Par chance, il a trouvé en Anya le soleil de ses journées glacées et grises. Petite fée ne dépassant pas 1.40cm, les poumons abîmés par la pollution, de vingt ans sa cadette. Ils forment un couple la Belle et la Bête, dépareillé mais amoureux, avec sa routine.
Une routine ébranlée par la découverte d’un homme congelé retrouvé dans les décombres d’un vieux bâtiment qui vient de s’effondrer. Un doute l’assaille. Cet homme a-t-il été victime d’un homicide ? Et qui est-il ? Les personnes qui l’ont trouvé sont Gleb, photographe amateur artificier à la mine. Et Dasha, costumière attachante qui passe sa vie à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Deux personnages que nous allons suivre tout au long du roman, ainsi que la médecin légiste, son mari mineur et d’autres… Tous des connaissances et amis d’Anya.
Nous voilà partis pour une enquête haletante, sans temps morts, où les réponses appellent de nouvelles questions. De ce point de vue, le thriller est une parfaite réussite. Mais la valeur ajoutée de Caryl Ferey, sa marque de fabrique, c’est toute la dimension politique et ethnographique qui se greffe autour. Ses ajouts sur la façon de penser russe et le mode de vie soviétique sont très intéressants, les considérations économiques tout autant. Là où il est question d’argent, les principes foutent le camp. Il parvient à entremêler le présent et l’Histoire, la culture slave et celle des autochtones Nenets, à parler de l’amour véritable ailleurs que dans les stéréotypes avec une poésie inattendue.
Un roman dévoré et adoré !
Les Arènes – Equinox, 2021, ISBN 979-10-375-0278-0, 525 pages, 22.90€
Des romans toujours très documentés. Une lecture qui tombe bien pour saisir une fois de plus l’âme et le politique russes. Merci pour cette lecture commune