Remarqué dans un article du magazine Lire, j’étais très intriguée par ce roman que depuis je vois fleurir partout. En effet, La plus secrète mémoire des hommes s’est fait une place de choix dans cette rentrée littéraire d’automne 2021 : en lice pour les prix Goncourt, Femina, Renaudot, Femina… J’ai souvent du mal à comprendre les choix des œuvres primées mais si ce roman là l’emporte, je dois dire que j’en serais très heureuse.
La plus secrète mémoire des hommes tient son titre d’un extrait de roman de Roberto Bolaño.
[…] Et un jour l’Oeuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s’éteindra, et la Terre, et le système solaire et la Galaxie et la plus secrète mémoire des hommes.
Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain sénégalais qui côtoie à Paris un cercle d’amis poètes et écrivains, avec qui il échange régulièrement, notamment au sujet de T.C Elimane, l’auteur d’un seul livre, dont l’identité reste un mystère, dont le chemin s’est perdu dans la nuit noire. Son roman Le labyrinthe de l’inhumain paru en 1938 a d’abord été encensé, prodige d’un écrivain noir, avant d’être écarté du système éditorial pour plagiat. Introuvable depuis, seuls quelques chanceux ont pu lire cette œuvre dont « une seule de ses pages suffisait à nous donner la certitude que nous lisions un écrivain, un hapax, un de ces astres qui n’apparaissent qu’une seule fois dans le ciel de la littérature ».
Le mystère attire Diégane comme un aimant et inversement. Le jeune homme aperçoit dans un café Siga D., l’ange noir de la littérature sénégalaise, qui dans ses écrits est sortie de l’exotisme attendu pour offrir des livres au parfum de scandale. C’est elle qui va lui ouvrir les portes du mystère T.C Elimane en commençant par lui permettre de lire l’Oeuvre introuvable.
Peu à peu, le roman prend des allures de roman à suspense. On brûle de savoir qui est ce fameux T.C Elimane. A-t-il vraiment existé ? Est-ce un pseudonyme derrière lequel se cache un visage blanc ? Le suicide de ses plus grands détracteurs n’est-il qu’une coïncidence ?
Alternant les récits de Diégane et de Siga D., entrecoupés d’extraits d’articles et de témoignages, l’histoire tel un fleuve suit son cours en charriant conjectures et interrogations. Chaque réponse amène une nouvelle question, sans que jamais on n’ait l’impression d’aller à reculons : peu à peu, les contours de la personnalité de T.C Elimane et de sa vie se dessinent.
L’intrigue est passionnante et magistralement construite, du travail d’orfèvre. Mais la valeur ajoutée de ce roman, ce sont ses réflexions sur la littérature. La littérature est le pays de Mohamed Mbougar Sarr (dixit l’auteur dans l’interview d’Augustin Trapenard dans son émission Boomerang). C’est un amoureux des livres, de la langue ; il est habité. Il suffit de l’écouter et de le lire, il parle comme dans les livres mais contrairement à beaucoup, ce n’est pas pour s’écouter parler ni se donner un genre. C’est dans sa nature, ça crève les yeux. La patrie de Mohamed Mbougar Sarr est de toute évidence « la patrie des livres », qu’il chérit et qu’il défend, notamment contre ceux qui l’abîment.
J’aimerais vous citer des passages entiers mais je vais plutôt vous laisser les découvrir par vous-même, ces réflexions qui critiquent une littérature appauvrie, où tout le monde a sa part de culpabilité : les critiques qui ménagent les susceptibilités d’auteurs installés, les lecteurs qui cherchent un plaisir facile, les éditeurs « occupés à susciter et vendre des produits formatés plutôt que d’encourager la singularité littéraire » (Il y a heureusement des éditeurs passionnés qui font très bien leur boulot, ne mettons pas tout le monde dans le même sac). De là à penser que Mohamed Mbougar Sarr à travers son narrateur fait preuve de suffisance, il n’y a qu’un pas trop vite franchi. D’une part parce que l’histoire narrée ici témoigne au contraire d’une grande humilité face à la Littérature : d’autre part parce que même si c’était le cas, son écriture est suffisamment belle et solide pour qu’il puisse se la raconter. Mais ce n’est pas ce qu’il fait. On voit qu’il veut faire honneur au lecteur qui rentre dans son univers.
Je te dis qu’il vaut mieux ne pas écrire si tu n’as pas au moins l’ambition de faire trembler l’âme d’une personne.
Le narrateur étant du Sénégal, il y a aussi une dimension africaine dans ce livre, avec une tradition fondée sur les mythes et légendes. Cela amplifie davantage l’aura de mystère qui enveloppe le récit, une atmosphère de magie noire qui pèse sur les personnages et sur Le Labyrinthe de l’Inhumain.
En conclusion, vous l’aurez compris, j’ai été captivée par ce roman, dans lequel le fond et la forme sont au diapason. C’est un travail d’écriture de précision, exigeant, que d’aucuns pourraient trouver verbeux comme j’ai pu le lire, alors que pour moi c’est un roman de littérature, tout simplement.
Pour terminer, je clos ce billet par une des (très nombreuses) phrases qui m’ont le plus marquée :
Oui, peut-être ; mais la vie, rajoutais-je, n’est rien d’autre que le trait d’union du mot peut-être.
Éditions Philippe Rey, 2021, ISBN 978-2-84876-886-1, 459 pages, 22€
Un immense merci aux Editions Philippe Rey et à Babelio ❤


Je sens qu’il va me plaire. Entraînée par une intrigue bien construite, je vais aimer lire cet amoureux des livres. Merci pour cette belle chronique et pour ta participation au mois africain
Mohamed Mbougar Sarr est un passionné talentueux, j’espère que tu apprécieras cette lecture autant que moi.
Tu n’es pas la seule à être enthousiaste pour ce roman. Très tentée de le découvrir !
J’ai vu deux trois chroniques déçues mais dans l’ensemble il est très bien accueilli.
Je l’ai vu et écouté lors de son passage à La Grande Librairie mais je n’avais eu plus envie que cela de le découvrir mais toi tu m’as convaincue et je vais le guetter soit à la bibliothèque soit je l’achèterai car moi j’aime qu’un auteur me fasse vibrer l’âme…. 🙂
Je suis ravie d’être parvenue à te donner envie de le lire. Elle m’a donné du mal cette chronique ! Plus j’aime, plus j’ai du mal à trouver les mots 🙂
Je suis de plus en plus intriguée par ce roman que je vois de plus en plus.
Merci pour ce partage ! Je l’ai effectivement vu ici ou là et je ne savais pas ce qu’il valait, maintenant je sais ;).
Ce roman est spectaculaire ! Il figure sur plusieurs listes de prix, j’espère qu’il en recevra un. Il le mérite. Merci de me permettre d’en parler encore davantage grâce à ton rendez-vous des coups de cœur 🙂
Il habite dans ma ville et est déjà intervenu dans le lycée de ma fille il y quelques années (mais pas dans sa classe malheureusement).
j’adore ce livre.