« La Horde du Contrevent », Alain Damasio

Lors de la première rencontre 2012 de mon club de lecture, nous nous sommes tous offerts un livre et avons voté pour celui à lire en lecture commune pour la session suivante.  J’ai reçu La Horde du Contrevent (Grand Prix de l’Imaginaire 2006), un roman que je voulais lire depuis un moment, et il a été choisi pour la lecture commune du mois de février.

Résumé : dans un monde où le vent a une importance capitale et un pouvoir destructeur, des hordes se succèdent afin de remonter vers l’Extrême-Amont et découvrir son origine. Mais cette expédition ne se fait pas sans mal. La horde doit affronter mille dangers, dont le furvent, une forme du vent dévastratrice, et malgré la volonté de chacun, la tentation de quitter le groupe est forte. Pourtant, chaque membre a sa place dans cette 34è Horde du Contrevent. 23 coéquipiers, avec à leur tête le Traceur Golgoth, un monstre de puissance et leader incontesté. Il y aussi Caracole, le troubadour, Talweg le géomaître, Oroshi  l’aéromaître, ou encore Alme la soigneuse. Ils sont partis d’Aberlaas, à l’Extrême-Aval, pour une quête qui dure depuis des années, et nous les suivons à travers ce qui devrait être la dernière (mais longue) partie de leur voyage.

Mon avis : La Horde du Contrevent est un des meilleurs livres qu’il m’ait été donné de lire.

Il faut dire que l’univers créé par Alain Damasio est exceptionnel, tenant à la fois de la fantasy, de la SF et de l’épopée. Lors de son voyage vers l’Extrêment-Amont, la Horde va subir de  nombreuses péripéties, dont les affronts du vent, la traversée d’une « flaque » qui a plus la taille d’une mer intérieure, l’escalade de montagnes d’apparence infranchissables… C’est un roman d’aventures, dans lequel les valeurs de courage et de solidarité sont mises en avant. Il y a aussi des moments d’abattement, et malheureusement tous ne réchapperont pas à cette expédition. Mais c’est ce qui fait que le récit est passionnant.

Le tour de force de l’auteur consiste aussi à nous placer au sein de la Horde, grâce à la narration employée. Chaque personnage est affublé d’un symbole, et chaque paragraphe commence avec un de ces symboles, ce qui nous permet de savoir quel personnage nous suivons et surtout d’obtenir différents point de vue sur une même scène. Au début il est déconcertant de devoir lever le nez de la page en cours pour aller regarder sur le marque-page inclus quel personnage parle, mais au fur et à mesure on intègre les différents symboles, et surtout, on se doute de qui parle sans même le regarder, tant les distinctions de langage sont exploitées. Golgoth, c’est le rustre de la bande, au langage fleuri. Pietro, le prince, emploie un langage soutenu, noble. Alors que Caracole, le troubadour, parle comme un chansonnier. Cette façon de procéder rend tout de suite les personnages attachants, et on voit les contrastes entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils disent, pas par hypocrisie, mais pour ne pas décourager leurs compagnons.

Un autre point très important dans cet ouvrage est la fabuleuse qualité de l’écriture. Dans la petitie biographie donnée il est précisé qu' »Alain Damasio écrit peu, par exigence ». On ne peut démentir ce point tant l’écriture est enlevée, précise, poétique par moments. De plus l’univers inventé nécessite des explications techniques, sur le vent, les vifs, les chrones… Mais l’auteur n’explique pas en bloc, plutôt par paliers, nous ne sommes donc pas obligés de subir un cours complet sur les différents phénomènes. Personnellement je survole toujours ce type d’explications. Je sais que je ne retiendrai pas et que ça ne m’empêche en rien de comprendre le roman, qui repose sur bien plus que des détails techniques. Néanmoins, il est toujours agréable de voir l’effort fourni par un auteur pour produire un univers unique et cohérent.

La Horde du Contrevent s’est hissé dans le top de mes romans préférés. C’est inventif, magnifiquement écrit, le récit est envoûtant, et on a beaucoup de mal à quitter les personnages. Il existe un site dédié dans lequel vous trouverez une bande-son, des dessins de l’aventure et des héros, ainsi que des fiches détaillées sur chacun d’eux.

J’en profite au passage pour remercier Andy de m’avoir offert ce livre 🙂

EXTRAITS

) Je ne sais pas comment ça s’est passé à ce moment là. J’ai juste senti le vent faiblir, parce que Golgoth, le neuvième du nom, fils teigneux de sa royale lignée, dans un terrible sursaut d’orgueil, avait décidé de se relever – et d’avancer ! Je ne sais pas comment il a pu. Je me souviens juste qu’il a propulsé ses bras vers l’avant, en appui sur le flux, exactement comme s’il cherchait à faire rouler un énorme rocher. Il a changé d’appui en attaquant du genou, en percussion, pour casser le ventre du vent, lui remonter les tripes à la gorge. J’ai essayé de le suivre, de garder l’aspiration. De faire le pas qui m’aurait ressoudé à lui.

– Pousse ! hurle Erg.

Je me suis désaccroupi trop tard, et un rien désuni, l’air racle mes clavicules, mon tronc est déjà trop droit, mauvais angle, ma tête part en arrière, rincée, l’arc de ma colonne plie, je résiste… Derrière moi, Erg tente de me redresser d’un coup de casque dans les dorsaux. Je m’appuie quatre secondes sur son mur de muscle dur, « Gicle ! », « Peux plus, gicle ! ». J’obéis, pour sauver Erg, ne pas l’emmener dans ma chute, pour lui laisser la chance de continuer. Je m’expulse hors du Fer, le flot me fauche de plein fouet et me projette cinq mètres derrière […]

≈≈≈≈≈≈≈≈≈

) Caracole s’est levé pour jouer du cromorne. Il entame une mélodie agitée puis l’allège et l’harmonise, se rassoit, semble entrer en lui-même et pose tranquillement son instrument, en nous dévisageant gravement. Lorsqu’il reprend la parole, son ton est simple et direct :

– N’acceptez pas que l’on fixe, ni qui vous êtes, ni où rester. Ma couche est à l’air libre. Je choisis mon vin, mes lèvres sont ma vigne. Soyez complice du crime de vivre et fuyez ! Sans rien fuir, avec vos armes de jet et la main large, prête à s’unir, sobre à punir. Mêlez-vous à qui ne vous regarde, car lointaine est parfois la couleur qui fera votre blason.

 Il marque une ultime pause, ses yeux rivés dans les nôtres, comme s’il y cherchait un écho impossible, une fraternité de résonance qu’aucun de nous ne peut lui offrir, là om il la rêve – ou l’attend. Il se lève, en faisant claquer rythmiquement ses syllabes, et il achève :

– Le cosmos est mon campement.

Les avis de : Dawn, Demoiselle-Coquelicote

FOLIO SF, ISBN 978-2-07-034226-6, 700 pages, 9,90 €

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41 réflexions au sujet de « « La Horde du Contrevent », Alain Damasio »

  1. Tiens, je suis intriguée: c’est un Andy qui t’a offert ce livre? Parce que je connais un Andy qui en est fou, du coup je suis tout doucement en train de me demander si nous n’avons pas une connaissance commune…

    1. C’est pour ça que je suis autant ton blog et tes avis, j’ai vite vu qu’on allait vers les mêmes choses. Et puis j’écoute toujours Andy, il est de bon conseil 😉

  2. Lu dans le cadre du Club de Lecture également.
    J’y suis allée à reculons. Encore de la Fantasy, encore un livre énorme, des critiques mitigées et acerbes sur certains sites internet. Et bien comme quoi, faut toujours se faire son propre avis : ce livre est une EXCELLENTE SURPRISE !!!!!
    Loin de ce que je lis d’habitude et pourtant j’ai beaucoup aimé.

    J’ai d’abord eu du mal à rentrer dans l’histoire -pas du fait qu’il y ait plusieurs narrateurs- plutôt parce que j’ai commencé en lecture hachée dans les transports en commun et parce qu’au début ils sont déjà en route depuis 30 ans, ça m’a perturbé. Mais finalement, le style est travaillé mais efficace, les personnages attachants et singuliers. Alors une fois commencé, très difficile de lâcher le livre !
    J’ai mis de coté dans ma lecture les aspects philosophiques et « sur le sens de la vie » pour le prendre comme un vrai roman d’aventures. On est dans la horde, on vit la horde, on devient la horde!
    On tremble, on s’émeut, on les encourage, on partage leurs victoires et leurs abattements.
    Et finalement, une fois fini, toutes les symboliques nous rattrapent, la quête de la vie, le chemin qu’on suit, les défis, les peurs à combattre, rester debout, continuer, le courage, être humain, être différent, savoir renoncer, l’entraide, et j’en oublie, et font que le livre marque par sa forme, son contenu, ses idées.

    Petit bémol, on sait un peu trop tôt (à 250/300 pages de la fin) à mon gout comment va certainement finir cette histoire, fin cohérente mais frustrante quand même pour moi.

    Et s’il y a un jour une suite même si elle ne reprend pas l’idée de horde mais garde l’univers créé par l’auteur, je dis banco !
    Comme quoi, je le répète, toujours se faire sa propre idée !

    1. Ca c’est du commentaire 😀 Merci Dawn ! On a déjà eu l’occasion d’en parler pendant le club alors tu sais que je suis bien d’accord avec toi. Il y a juste pour la suite que je suis prudente. Pour moi la fin de ce roman est une vraie fin, et j’ai envie de garder cette histoire comme je la connais. Ca dépendra de l’orientation qu’Alain Damasio veut donner à sa suite…

      1. C’est vrai qu’une suite c’est risqué. A mon avis, ça lui reprendre des années avant de publier quelque chose, du moins c’est à espérer, ça signifiera que ça n’est pas une suite pour une suite, mais un vrai projet.

  3. Chapeau le travail de l’auteur où on apprend qu’il a mis 4 ans à faire les fiches des personnages ! C’est vrai que prendre 23 protagonistes au départ est un défi, et c’est réussi.
    Ma préférence va à Caracole le troubadour qui en sait beaucoup (trop?). Et ensuite Sov, qui se pose moultes bonnes questions, à Aoi la sourcière, Callirohé la feulleuse et Steppe celui qui s’y connait en nature.
    Mais c’est difficile de ne pas les « aimer » tous parce que la 34ème horde est un personnage à part entière, chacun en fait partie, avoir son savoir, ses qualités et ses défauts mais ils sont presque indissociables!
    Mention spéciale à Golgoth, bourrin et vrai force de la nature, spécial mais qui nous touche quand même !

  4. Ah mais j’avais pas entendu l’autre soir le moment où tu disais « un des meilleurs livres qu’il m’ait été donné de lire » !! 😮 Ah ben déjà avec les avis des autres j’étais bien tenté vu qu’il y avait des gens au goût sur mais là ce coup-ci y a pu de doute, pour que toi qui a vu passer des kilomètres de papier tu dises ça forcément je vais m’y intéresser ^^

    1. Lors de la réunion je n’étais pas à l’aise pour m’exprimer avec le brouhaha à côté, mais je confirme, c’est l’un des meilleurs livres que j’aie lus. Et si je te donne davantage envie de le lire mon billet n’aura pas été complètement inutile 🙂

  5. Tu m’as donné envie de lire sans même que je parcoure les extraits !
    ça va me rappeler mon adolescence ! J’en lisais plain à cette période de ma vie !

  6. J’arrive toujours pas à comprendre comment j’ai pu m’accrocher à un bouquin comme ça!

    Quand ce livre a été élu au club, j’ai poussé intérieurement un O My Good,!
    700 pages avec plus de 20 personnages qui se prennent du vent dans la face ça va pas être possible.

    Et franchement les premiers 3/4 heures AU SECOURS !
    Reprendre le marque page pour à chaque fois voir qui parle ça alourdit la lecture.
    En plus j’ai trouvé l’idée des symboles assez anecdotique au final…

    J’ai trouvé les passages techniques sur les différentes formes de vent et de chrones assez indigestes.
    Du coup j’ai zappé pas mal d’informations, dont une assez importante quand même sur Caracole …

    Et puis au final on découvre un livre initiatique, où on arrive à se retrouver dans chaque personnage.
    On en arrive a les aimer, même Golgoth ce bloc de rage et de mysoginie pur!
    On les suit on les soutient .
    Dans mon imagination j’étais avec eux à les encourager limite à les pousser.

    J’aurai aimé en savoir plus sur eux.
    Notamment avoir l’épisode de la Strace de chacun d’eux !

    Mon personnage préféré restant celui qui a du dire 5 phrases au total dans ce livre:
    Arval, « la lueur ».
    Gros coup de coeur aussi pour les jumeaux Dubkas !

    Un fin métaphorique sur notre propre contre.
    C’est à dire les questionnements et les combats que nous menons tout les jours dans notre vie quotidienne.

    Mais une fin qui m’a déçue…
    J’aurais dû m’arrêter sur cette belle image (attention spoil !!!) où Horst et Karst s’en vont insouciants sur des chevents …

    Bref une très belle découverte pour quasi l’ensemble du club!

  7. J’en ai entendu parler et il m’a toujours fait envie.
    Je vois que tu lis les Dames du lac, j’avais adoré cette série, lue il y a quelques années.

    1. J’aime bien aussi, même si je pense que je l’aurais davantage appréciée ado. Quant à La Horde du Contrevent je te le recommande sans réserve 🙂

  8. moi, je l’ai tellement aimé ce livre, que je me suis fais tatouer la formation goutte dans le dos 🙂

    1. les goûts et les couleurs…
      En tout je vous conseille aussi son premier opus, La Zone du Dehors…

  9. Oui, faut aimer ^^ J’aime beaucoup le motif que ça donne donc je suis sûre que ça rend bien !
    Ce titre est noté, je suis bien décidée à le lire aussi :))

  10. Rhooo, ce livre je l’ai noté dans mon carnet LAL depuis le début de mon blog, je sais que c’est un monument et je sais que je le lirai un jour ! Mais il faudra que je prenne le temps ! 😉

    1. C’est une pure merveille, il faut absolument que tu le lises et que tu te laisses emporter au sein de la horde. J’ai encore des frissons en y repensant.

      1. Ho mais j’ai bien senti tes frissons dans ton billet et ton émotion !!! Cela a renforcé mon désir de le lire mais voilà, 700 pages quand même et j’ai toujours une Pile qui ne baisse pas ! 😦 Pas assez vite à mon goût ! 🙂 Je ne veux même pas de livres pour Noël, c’est te dire ma saturation ! Non pas l’envie de lire mais toutes ces « urgences » qui m’attendent finissent par me bloquer !!!^^

        1. Je suis exactement dans le même cas que toi, avec une PAL qui déborde et des urgences, qui plus est obligatoires, qui parfois atténuent mon plaisir de lire. Dernièrement j’ai enchaîné les services de presse pas terribles, je sature un peu. Vivement que je relise un livre qui me fasse un tant soit peu vibrer !

  11. Je viens d’en publier la chronique et en effet, le style est déroutant et incroyable! J’ai beaucoup aimé la joute verbale de Caracole à Alticcio, et je comprends pourquoi il faut beaucoup de temps à Damasio pour écrire!

A vous les micros !

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